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Mots en fête
8 mars 2021

proposition d'écriture : commenter un titre de presse régionale

toutes les photos portable 2110

 

Un camion plein de pommes de terre se couche…

Epuisé d’avoir tant roulé sa bosse sur des voies scabreuses, peuplées de nids de poules et de dos d’ânes, le bahut bedonnant s’est couché sur le talus, se délaissant de sa charge trop lourde de pommes de terre bintje, vivement recommandées pour avoir la frite. Celles-ci ont roulé sur la chaussée pour le bonheur des indigents, et beaucoup d’autres qui le sont moins, alertés par ce fébrile tintamarre.

L’homme, tout aussi fatigué que son vieux bahut s’est assoupi sans une égratignure et sans un regard, ni l’ombre d’une culpabilité pour sa cargaison abandonnée et la fourmilière s’affairant autour. Il a roulé une bonne partie de la nuit à la recherche de ces tubercules aux confins de la contrée, joliment dénommée « Hauts de France », par les politiques en verve quant aux changements en profondeur. Le chauffeur, dénommé Henri Tudor, ça ne  s’invente pas, comme en témoigne le pare-brise griffé par les branches, dort d’un sommeil profond et réparateur, plongé dans un rêve langoureux habité par des demoiselles en robe des champs. Radio Dallas, appellation déplacée pour une fréquence locale, émet une chanson de Mike Brant, « Qui saura ? », berçant doucement notre innocent, niché entre les bras hospitaliers d’une Morphée de province.

« Henri tu dors

Ton camion ton camion va trop vite

Henri tu dors

Ton camion va trop fort. »

Mais le bienheureux Henri n’entend pas son engin couché dans les hautes herbes du talus, qui continue de ronfler.

 

Autour du véhicule, s’affairent les maraudeurs… ou les voleurs de grand chemin, c’est selon. En tout cas la maraude est un reliquat de la révolution. Gardons-le, faute de mieux, notamment d’un peu plus de justice sociale. Ils remplissent leurs sacs,  affichant effrontément l’enseigne des grandes surfaces, « aux champs », ils osent, la vie, la vraie, claironnaient-ils il y a quelque temps encore.

D’autres villageois arrivent en courant et s’agglutinent autour du butin, La montagne fond comme neige au soleil. Tout le village s’est donné rendez-vous et semble s’être réconcilié autour de la bintje.

Mais voilà qu’un voisin ombrageux appelle la maréchaussée. Celle –ci  surgit soudain. Le gyrophare s’en donne  à cœur joie, à pleine et stridente voix, n’ayant que rarement l’opportunité de se faire entendre. Il ne se passe pas rien, aucune histoire ou fait-divers notable à la campagne hormis quelques feux de paille et autre feu trop arrosé de la Saint-Jean. Des coups de sifflets retentissent, appelant à cesser la débauche de penchants illicites. Mais les forces de l’ordre sont rapidement dépassées, des mauvais plaisants allant jusqu’à les bombarder d’une pluie de pommes de terre vertes et déclassées. Aucun d’entre eux n’obtempère à l’injonction. Alors les gendarmes, impuissants, désarmés, changent de tac tac tique et se rangent de leur côté. Eux aussi s’en mettent plein les poches et ras le képi. Ce soir ce sera la fête dans et hors les casernes : moules-frites avec du vin de Moselle ou de la bière brassée localement.

-          Et si on mettait tout en commun, rendez-vous en face de la mairie! Eugène y prendra l’accordéon ! Messieurs les gendarmes vous êtes des nôtres et merde  Vauban !

Des hourrahs euphoriques fusent de toutes parts. En quelques minutes les villageois s’éclipsent, laissant place nette. Plus aucune trace de pomme de terre sur les lieux.

 

Henri se réveille en souriant. Son beau rêve en tête, il semble tout ragaillardi. Son camion, reposé lui aussi, se relève sans effort, frais et pétaradant comme un cheval de trait. Il est vide de toute récolte. L’homme, bon enfant sans mémoire, ne se souvient plus d’avoir rempli un jour la benne, il fait demi-tour et recommence sa tournée à contre sens.

 

L’histoire ne nous dit pas à quel genre d’accueil il a eu droit de retour chez son patron. Les villageois ne ressentirent qu’un seul regret, de taille, celui de ne pas avoir invité  à leurs libations le chauffeur détroussé, purgeant en solitaire sa mésaventure. Ils attendront en vain un virage mal négocié ou une plaque de verglas pour l’inviter un jour prochain à  leur table.

Marc

 

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